Petit point règlementaire sur la microfiltration des eaux minérales naturelles
Contexte règlementaire général sur les eaux minérales naturelles
L’eau minérale naturelle est une catégorie spécifique d’eau destinée à la consommation humaine[1].
Elle est définie par une Directive européenne de 2009 comme « une eau microbiologiquement saine, au sens de l’article 5, ayant pour origine une nappe ou un gisement souterrain et provenant d’une source exploitée par une ou plusieurs émergences naturelles ou forées. »[2].
L’article 5, auquel fait référence cette définition, précise que l’eau microbiologiquement saine est celle dont la teneur totale en micro-organismes revivifiables est, à l’émergence, conforme à son microbisme normal et qui témoigne d’une protection efficace de la source contre toute contamination[3].
Autrement dit, la composition microbiologique de l’eau minérale naturelle doit correspondre à son état naturel dans le gisement terrestre.
La règlementation fixe des critères techniques et scientifiques précis, tels que sur la composition microbiologique, sur les traitements autorisés, sur les matériaux au contact des eaux, sur les traitements autorisés etc., auxquels doit satisfaire l’eau minérale naturelle.
Un produit qui ne respecte pas cette définition ni ces critères, ne peut pas être vendu sous le nom d’eau minérale naturelle.
Les traitements des eaux minérales naturelles
L’eau minérale naturelle peut subir certains traitements, à condition qu’ils respectent les trois critères cumulatifs suivants fixés par la règlementation européenne :
- (i) ces traitements ne peuvent pas être désinfectants[4], bien que la désinfection soit autorisée pour d’autres catégories d’eaux dans les conditions précisées par les textes[5],
- (ii) ces traitements doivent être inscrits sur une liste limitative prévue par la règlementation européenne[6] et reprise, en France, aux articles 5 et 7 de l'Arrêté du 14 mars 2007[7],
- (iii) ces traitements ne doivent pas altérer la composition microbiologique originelle de l’eau minérale naturelle.
Si un traitement ne répond pas à un seul des trois critères cumulatifs ci-dessus, il sera considéré comme illégal et l’eau, ayant subi ce traitement, ne pourra pas être vendue sous la dénomination d’eau minérale naturelle, sous peine de sanctions pour tromperie, voire d’autres sanctions[8].
Application de ces critères à la microfiltration
La séparation par filtration des éléments instables, communément appelée« microfiltration », peut être appliquée aux eaux minérales naturelles, à condition de respecter les critères cumulatifs ci-dessus.
Ce traitement est inscrit sur la liste européenne[9].
Il ne sera légal que s’il n’altère pas la composition microbiologique originelle de l’eau et s’il n’a pas d’effet désinfectant.
La difficulté vient du fait que ni la règlementation européenne, ni la règlementation française, ne fixent le seuil à partir duquel la microfiltration modifie la composition microbiologique originelle de l'eau minérale, ni le seuil à partir duquel cette filtration devient désinfectante.
La France tolérait depuis 2001 le seuil de 0,8 micron, sur la base d’un avis rendu par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (actuelle ANSES) à propos d’une demande d’approbation d’un procédé de traitement pour les eaux de source et les eaux minérales naturelle.
Dans cet Avis, l’Agence a en effet indiqué que : « le dispositif de filtration tangentielle ayant un seuil de coupure de 0,8 µm peut être utilisé pour le traitement d’eau de source ou d’eau minérale naturelle avec l’objectif de retenir des particules présentes naturellement dans l’eau au captage ou celles résultant d’un traitement d’oxydation du fer ou du manganèse dissous, mais qu’il ne doit pas être utilisé pour rendre les caractéristiques microbiologiques des eaux conformes aux dispositions réglementaires. »
Ce seuil de tolérance semble avoir été abaissé à 0,2 micron, dans le cadre de dossiers d’autorisations d’exploitation de certains gisements d’eaux minérales naturelles en France[10].
Remise en cause potentielle du seuil de filtration toléré en France ?
A l’occasion de l’affaire dite du « Scandale des eaux minérales »de la société Nestlé en France, la Commission européenne a effectué, courant mars 2024, un audit du système français des autorisations et des inspections dans le secteur des eaux minérales naturelles par les autorités de contrôle officiel[11].
Dans son rapport, la Commission européenne indique qu’en l’absence de règles harmonisées sur l’utilisation de la microfiltration, les autorités compétentes françaises acceptent l’utilisation de la microfiltration réalisée à l’aide de filtres dont la taille des pores peut être aussi faible que 0,2 µm même si, avec des pores aussi fins, on ne peut exclure le risque d’une modification du microbisme des eaux minérales naturelles.
La Commission européenne conclut que « Cela n’est pas conforme à la législation européenne »[12].
Il est légitime de se demander si cette conclusion concerne le seuil de 0,2 micron en soi, ou le cas où ce seuil modifierait le microbisme de l’eau minérale naturelle.
Autrement dit, s’il peut être démontré scientifiquement que le seuil de filtration de 0,2 micron ne modifie pas le microbisme des eaux minérales naturelles, celui-ci serait-il considéré comme conforme à la réglementation ?
C’est en tout état de cause la position que semblent avoir adopté les autorités de contrôle françaises : « les filtres de 0,2 μm font partie intégrante des systèmes de gestion de la qualité des exploitants et permettent de garantir la sécurité sanitaire. La microfiltration faisant intervenir des filtres de 0,2 μm constitue l’une des méthodes utilisées pour limiter certains risques microbiologiques affectant l’eau minérale naturelle ; de récentes techniques d’analyse montrent que les filtres de 0,45 μm ou de 0,2 μm laissent passer une partie de la flore et, par conséquent, leur utilisation ne devrait pas être considérée comme un traitement de désinfection de l’eau et serait conforme à la législation européenne »[13].
La Commission européenne pourrait néanmoins infléchir cette position, car elle indique dans son rapport que « Bien que les AC [Autorités de contrôle officiel] aient connaissance de l’utilisation de la microfiltration, elles n’ont pas exigé de preuves solides du respect de la législation de l’UE, tout en sachant également que les filtres dont la taille des pores peut être aussi faible que 0,2 μm pourraient avoir un effet de réduction microbienne, en violation de la législation de l’UE. »[14]
Une clarification règlementaire sur ce point au niveau européen pourrait mettre fin à cette incertitude, ce que la France a d’ailleurs déploré dans sa réponse à la Commission européenne, attirant son attention sur le manque de lisibilité des exigences de la directive 2009/54/CE relative aux eaux minérales naturelles surle sujet de la microfiltration et sur les difficultés de contrôle associées.
En attendant une éventuelle évolution des textes sur ce point, certes est que la question du seuil, au-delà duquel la microfiltration provoque un effet désinfectant, ou modifie le microbisme de l’eau minérale naturelle, est plutôt une question scientifique, que juridique.
[1] Directive n° 2009/54 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 relative à l’exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles, Articles L.1322-1 et suivants du Code de la santé publique
[2] Directive n° 2009/54 précitée, Annexe I, point I.1
[3] Idem
[4] Directive n° 2009/54 précitée, article 4.3
[5] Notamment Directive n° 2020/2184 sur les eaux destinées à la consommation humaine
[6] Directive n° 2009/54 précitée, article 4.2
[7] Arrêté du 14 mars 2007 relatif aux critères de qualité des eaux conditionnées, aux traitements et mentions d'étiquetage particuliers des eaux minérales naturelles et de source conditionnées ainsi que de l'eau minérale naturelle distribuée en buvette publique, pris en application de l’article R.13-22-32 du Code de la santé publique
[8] La question des sanctions applicables sera traitée dans une brève ultérieure
[9] Directive n° 2009/54 précitée, article 4.1.a
[10] Comme cela ressort à la lecture compilée des documents relatifs au Scandale dit des Eaux minérales de la société Nestlé en France
[11] CE, DG SANTE : « Rapport final d’un audit réalisé en France du 11 au 22 mars 2024 afin d’évaluer le système de contrôles officiels relatifs aux eaux minérales naturelles et aux eaux de source », 13 août 2024
[12] CE, DGSANTE, Rapport précité
[13] Idem
[14] Ibid